Suite de l'interview...
Changer d'horizon ?
F. D. : Oui, c'est ça, changer d'horizon et voir ce qui existe ailleurs. Je présume que ça va m'enrichir pour Malefosse parce que, dès qu'on attaque le Nord de l'Espagne, une ferme, ça ressemble plus à une ferme de Malefosse qu'à une ferme industrielle de Normandie.
D. B. : C'est drôle ce que dit François, parce que dans "les Chemins de Malefosse", il s'agit du Roi d'Espagne indirectement... J'ai failli traverser l'Espagne parce que j'avais un bouquin sur l'Escurial... Puis je me suis dit "Cela va être pauvre, tu es cinglé" et j'ai renoncé à la chose. Mais peut-être, pour plus tard...
F. D. : J'ai besoin de sentir... et j'ai besoin de me distraire de Malefosse. Depuis des années, dès que j'avais fini la dernière image de Malefosse, je recommençais la première. Alors, j'aimerais prendre trois ou quatre mois entre deux Malefosse pour aller à Compostelle, pour faire des aquarelles, des jeux de cartes peut-être ou me balader en 2 CV parce que me balader en 2 CV c'est une autre passion pour moi.
Vous avez 15 ou 20 ans de métier...
F. D. : Dix-huit en commun.
Quel regard portez-vous sur l'univers de la Bande Dessinée à travers votre propre métier ?
F. D. : C'est un lieu commun de dire que le grand malheur qui est arrivé à la Bande Dessinée, c'est la disparition de la presse. Moi j'ai eu la chance de commencer dans la B.D. à l'époque où il y avait la presse : Tintin, Spirou, Fleurus surtout, Fripounet et Djin... On a tous commencé là en même temps : Bourgeon, Julliard, Convard, Binet... Cela nous permettait d'apprendre notre travail en étant payés. Maintenant, les jeunes, je ne sais pas comment ils peuvent y arriver. Il doivent faire d'emblée un album qui passe du premier coup le seuil de rentabilité. Ce qui dépend des éditeurs et qui reste très-très flou. Certains tirent à huit mille, d'autres, c'est douze mille...
À mon avis, ils nous arnaquent un peu, mais ce ne seraient pas des éditeurs, autrement... Enfin le gars doit faire huit mille au moins. Je ne sais comment il gagne sa vie. Il n'y a plus de planches non plus. Quand il y avait la presse, on était payés à la planche, en tant que participants à un organe de presse et on passait au régime des auteurs. Maintenant, on est payés à la planche, mais c'est une avance sur droits d'auteur et il faut qu'on travaille pour compenser cette avance avant de toucher le reste. Ce qui fait qu'il y a beaucoup de mecs qui s'imaginent que la B.D. c'est facile et qui débandent très vite, en s'apercevant que ce n'est pas si facile que ça et ils abandonnent des séries... Le jeu reste quand même intéressant pour un éditeur : les vieux briscards de mon époque, ont réussi à préserver un prix de planche. Quand on arrête une série, l'éditeur met un jeune dessus, mais lui on ne le paye plus. Mais comme la série est en place, c'est tout économie. C'est comme ça que les séries changent de dessinateur. On en prend un autre, puis un autre, mais ce qu'on pert de vue c'est que le lecteur en a ras le cul de ça et se dit: "Telle série j'en ai marre, elle est dessinée par un autre, moi j'arrête". Et on dit la série ne marche pas.
C'est ce que je reproche beaucoup aux éditeurs. J'en parlais avec Caroline (N.D.L.R. : l'attachée de presse de Glénat), hier : il est dommage que les éditeurs ou leurs représentants ne descendent pas dans les librairies entendre les réflexions des lecteurs. Les lecteurs ne sont pas des cons, il faut arrêter de les prendre pour des cons !
Par exemple entre un album qui coûte 78 francs et un qui coûte 58 francs, la différence de prix vient du papier blanc qui est autour du papier imprimé. Les gens s'en rendent compte de ça. Vingt francs de plus pour ce papier blanc autour, c'est cher, c'est trop cher, il ne faut pas se foutre du monde. Je ne supporte pas ça. Il faut que les éditeurs descendent dans les librairies et qu'ils ne voient pas qu'à court terme et il le faut tout de suite. Pour moi un éditeur, c'est un mec qui prend des risques sur quelqu'un et qui attend que ça marche, comme de vrais éditeurs de bouquins ou de poèmes. J'ai beaucoup de respect pour les éditeurs de poèmes, car on ne peut pas éditer des poèmes sans prendre de risques. C'est vrai qu'à un certain moment, la B.D. ça marchait bien et un mec qui voulait faire du pognon, il éditait de la B.D. Il y avait assez de tarés en France pour acheter tout ce qui sortait, on était sûr d'amortir le truc. Mais maintenant, les gens sélectionnent.
Avant, on allait au ciné. Maintenant on va voir des films. Avant, on achetait de la B.D. maintenant, on achète un album. Ce n'est plus pareil. Maintenant, il y a de l'info et les gens se renseignent ils n'achètent plus n'importe quoi, je crois. Ou alors, dans une certaine tranche d'âge, à qui on balance des trucs, en leur affirmant que c'est très bien. Comme tu disais tout à l'heure, du "Pokémon" par exemple, il suffit de leur mettre dans le crâne que c'est très bien, ils achètent. Les mangas, je n'ai rien contre, à un moment on a été payés avec ça, si on n'avait pas eu les mangas, on n'était pas mal... Alors, merci aux crétins qui achètent des mangas, mais c'est un peu triste quand même de mettre la qualité à côté. C'est de la mise à mort, c'est ça que je pense de la B.D. actuelle.
Après, il y a le para B.D., des prix fous autour des planches. Ça, c'est très net dans les dédicaces où l'on voit des mecs qui font 4 ou 5 heures de queue pour avoir un dessin : l'album est revendu avant que le mec ne soit sorti de la salle. C'est monstrueux ! Hier, j'ai signé une B.D. à un gars qui était tout fier de me montrer qu'il avait acheté un album 250 balles dédicacé. Je rencontre un mec sympa, je lui fais un beau dessin, vraiment un beau dessin et le mec le revend à quelqu'un qui l'achète 250 francs.
C'est de la folie toute la spéculation qu'il y a autour de la B.D. ! Maintenant, les gens se battent dans les queues des dédicaces, ils viennent avec leur transat, leur pliant pêcheur, leur "casse dalle", bientôt ils vont amener leur sac de couchage !
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