interview


Thierry CAILLETEAU ("Aquablue", "Les 3 quêtes d'Hypercondrie"...) répond à Alkemya :

À quel âge et comment avez-vous commencé dans la BD ?
- J'ai dessiné mes premières BD vers 8 ou 9 ans. C'est quelque chose qui m'a parlé, qui m'a emballé. D'ailleurs, gamin, je faisais des BD pour me projeter dans l'imaginaire, pour prolonger le plaisir que j'éprouvais avec d'autres BD. Quand je n'avais pas de BD sous la main, je les dessinais pour moi seul, pour mon plaisir. Quand on est adulte, on écrit pour être lu ! C'est en 1982 que j'ai fait mes premières expériences professionnelles en étant publié dans Pilote, avec "Fred et Bob".

Quels seraient les conseils que vous donneriez à quelqu'un qui veut se lancer dans la BD ?
- Passe ton bac d'abord ! C'est difficile de répondre à cette question parce qu'on risque de tomber dans des généralités ! Disons qu'il y a des gens naturellement doués, d'autres qui le sont moins. Il faut rester passionné, être opiniâtre et garder la pression. De jeunes auteurs se découragent lorsqu'ils essuient quelques refus, d'autres rentrent par la fenêtre quand vous les virez par la porte. Ceux-là, en général, arrivent toujours.

Comment devient-t-on directeur de collection ?
- Cela fait vingt ans que je fais de la BD comme auteur. J'éprouvais le besoin de partager ce plaisir avec d'autres auteurs, envie de transmettre des choses, de mettre en pratique ce que j'avais appris. Être directeur de collection c'est un moyen d'y parvenir. J'ai fait courir le bruit que cette fonction m'intéressait et un jour une chance s'est présentée. Il est aussi intéressant pour un auteur de passer de l'autre coté de la barrière et de voir ce métier du point de vue de l'éditeur. Finalement, on apprend énormément de choses : on comprend mieux les problèmes commerciaux, de fabrication...

Quelles sont les orientations que vous souhaitez donner en tant que directeur de collection ?
- C'est de faire une bande dessinée pour le lecteur en mettant en vant le héros et non pas l'auteur, une BD qui se revendique comme une littérature populaire mais qui ne cherche pas à gagner sa place ni dans les musées, ni à l'Académie Française, tout en faisant pourtant un travail d'artisant d'art... J'aimerais trouver dans la BD les descendants d'Alexandre Dumas, des gens qui font de la littérature populaire de grande qualité. Je n'ai pas envie de promouvoir de la BD qui n'est pas contente d'être de la BD et qui revendique une certaine reconnaissance par les intellectuels. D'autant plus que les intellectuels lisent de la BD aux toilettes. Je veux de la BD qui fasse vibrer. Je ne connais personne qui ne se soit pas délecté en lisant "Les 3 Mousquetaires", même si des esprits chagrins prétendent que c'est simple et pas très intelligent... Je n'ai rien contre la littérature recherchée, mais pour moi la meilleure BD c'est celle qui fait rire les gosses, qui les fait rêver, ou qui trouve l'adhésion de ceux qui sont resté de grands enfants. J'aimerai bien faire reconnaître qu'il y a de la noblesse à travailler comme ça, en faisant du divertissement mais avec un maximum de savoir faire.

En tant qu'auteur, quels sont vos projets en cours ?
- J'ai un album en cours avec Joël Mouclier, le dessinateur des "Remparts d'écume". Cela devrait s'appeler "Les Myrmoïdes", un album qui est basé sur des histoires de révoltes de fourmis géantes de l'espace : on utilise des fourmis géantes pour faire terraformer la planète Mars. Mais tout se dérègle. Les fourmis se retrournent contre les colons : on les avait rendues un peu trop intelligentes. C'est du divertissement.

Vous avez sorti l'intégrale des "3 quêtes d'Hypercondrie", avons nous une chance d'avoir la suite des aventures de Fizzbi le lutin ?
- Rien n'est décidé pour l'instant. À l'époque de la sortie des "3 quêtes d'Hypercondrie", l'album était passé un peu inaperçu à cause du mauvais contexte de l'époque. Vents d'Ouest a jugé que le contexte était meilleur maintenant et qu'il fallait essayer à nouveau. Nous sommes un peu dans l'expectative et nous attendons la réaction du public. Mais nous aimerions bien en faire d'autres.

Donc, peu de chance de voir Fizzbi devenir un grand magicien et un grand guerrier ?
- Je pense qu'il ne le deviendra jamais. De toute façon, si nous devons faire un nouvel album de Fizzbi il ne bougera pas. Ce personnage est intéressant parce qu'il est un personnage en devenir et que nous souhaitons le laisser comme ça justement. On a envie de le garder comme un éternel étudiant en magie et chevalerie. S'il grandissait il deviendrait une sorte de mélange de ses deux précepteurs et amis : Kanzer et Brutus Kompilor.

Comment expliquez-vous le phénomène d'Aquablue ?
- Je crois que ça appartient à ce que je disais tout à l'heure : Aquablue fonctionne avec des rapports assez simples. L'histoire touche les gens par ses idées simples, parfois naïves mais toujours généreuses. Aquablue c'est une science-fiction qui fonctionne un peu comme les histoires de pirates ou d'explorateurs. L'originalité d'Aquablue c'est que cette BD ne se base pas sur des effets spéciaux extraordinaires ou sur la technologie. Au contraire, je pense que c'est ce côté simple et chaleureux qui séduit les gens.

À quand le prochain album d'Aquablue, et quel titre portera-t-il ?
- Le titre, il y en a plusieurs mais rien de déterminé. Quant à la parution, peut-être au printemps prochain...

Question très subsidiaire. Que pensez-vous de la guerre au Kosovo ?
- Je pense que, comme dans toutes les guerres, à chaque fois qu'il y a un conflit, il y a une propagande pour faire accepter le conflit par l'opinion publique. Nous sommes en train de subir ça en ce moment. Le régime yougoslave n'est sans doute pas un bon régime, mais on nous a aussi raconté en 14 que les Allemands mangeaient les bébés, en 39 aussi... J'ai beaucoup de respect pour tout ce qui est Humanitaire mais je trouve que l'Humanitaire est complétement manupulé à des fins propagandistes pour faire accepter l'idée de cette guerre. Je me méfie beaucoup de tout ce que j'entends actuellement. J'ai vraiment l'impression qu'on nous bourre le mou des deux cotés : il n'y aurait que des gentils du côté de l'UCK, et du coté des serbes il n'y aurait que des méchants. Pour moi ce sont des nationalistes contre des nationalistes (et je trouve que le nationalisme est une chose dégueulasse). On connaît très bien l'intérêt géopolitique et stratégique des Balkans. Je pense que les desseins de L'OTAN sont tout autres qu'humanitaires. Mais je trouve dommage qu'on ne parle que du KOSOVO. Il y a d'autres guerres moches dont on ne parle pas ou peu : les colons juifs et les palestiniens, l'afghanistan où les talibans font des choses horribles et épouvantables...

Et maintenant, l'interview façon Proust (Thierry Cailleteau nous fait l'honneur / le plaisir d'y répondre pour la première fois en vingt ans de carrière)...

Le principal trait de mon caractère ?
- L'insoumission, je crois. En général, je ne pense pas comme on me dit de penser, et je ne fais pas là où on me dit de faire... avec tous les ennuis qui en découlent !

La qualité que je désire chez un homme ?
- Je ne désire rien chez les hommes ! En revanche, je déteste les obsédés du pouvoir (qu'il soit financier, politique, ou moral). Bien souvent, plus ils se sentent petits en face d'eux-mêmes, plus ils veulent paraître grands en face des autres, en les écrasant si besoin est. La qualité que je préfère chez un homme, c'est justement d'être capable de se sentir assez grand pour s'accepter, sans nécessairement avoir mis tout le monde à genoux autour de soi pour y arriver.

La qualité que je désire chez une femme ?
- Mon cher Marcel Proust, je pardonne le mauvais goût de votre question en la replaçant dans le contexte de votre époque, où l'on ne considérait pas encore la femme comme l'égale de l'homme. Quant à moi, j'apprécie les mêmes qualités chez les femmes que chez les hommes. Toutefois, pour ne pas esquiver totalement la question, je veux bien concéder que l'humour me séduit particulièrement chez une femme.

Ce que j'apprécie le plus chez mes amis ?
- Leur fidélité, et un peu "d'esprit de clan" est aussi le bienvenu ! Un ami, c'est quelqu'un qui vous soutient même quand vous avez tort, et qui vous cache même si vous venez de commettre un crime qu'il désapprouve. Les amis de "quand ça va bien", ça s'appelle des relations.

Mon principal défaut / Ma principale qualité ?
- Défaut : la distraction. Je pourrais en remontrer au professeur Tournesol. Qualité : tout bien pesé, c'est peut-être l'opiniâtreté. Il en faut beaucoup pour me faire renoncer à un projet. Je suis capable de continuer à avancer seul, même quand "les porteurs refusent d'aller plus loin" ! Je crois que c'est une qualité fondamentale dans la profession que j'exerce.

Mon occupation préférée ?
- Elles sont diverses, mais j'aime avoir du temps libre pour m'y consacrer, et je parviens toujours à en ménager. Avoir du temps à soi, voilà le vrai luxe.

Mon rêve de bonheur ?
- Surtout, ne changez rien en ce qui me concerne !

Quel serait mon plus grand malheur ?
- Ne plus savoir me contenter de ce que j'ai.

Ce que je voudrais être ?
- Un explorateur, un chercheur qui met au point un vaccin, un révolutionnaire, etc. Bref, tout sauf une star de la politique, de la finance, de la télé, ou du cinéma... avec peut-être une exception pour la BD !

Le pays où je désirerais vivre ?
- Il y a bien des pays que j'aimerais visiter et connaître, mais le seul où j'ai envie de vivre, c'est la France.

La couleur que je préfère ?
-Le bleu pour les yeux, le rouge pour les voitures.

Mes auteurs favoris en prose ?
- Alexandre Dumas, Tolkien, Kessel, et tous les écrivains de ces familles littéraires.

Mes poètes préférés ?
- Malheureusement pour moi, j'ai toujours été presque totalement imperméable à la poésie, du moins sous sa forme littéraire.

Mes héros dans la fiction ?
- En vrac et comme ça vient : Le comte de Monte Christo, d'Artagnan, Bilbo le Hobbit, Spirou, Ian Solo, et surtout Indiana Jones que j'imiterai quand je serai grand !

Mes héroïnes favorites dans la fiction ?
- En cherchant bien, aucun nom ne me vient, à part celui de Jessica B. Fletcher, probablement parce que je viens juste de voir un épisode "d'Arabesques" sur TF1 (sans blague, j'adore). C'est sans doute parce que j'arrive moins bien à m'identifier dans une héroïne que dans un héros.

Mes compositeurs/musiciens préférés ?
- Comme ça, sans réfléchir : Brassens et Franckie Vincent. Mais à vrai dire j'écoute peu de musique.

Mes peintres favoris ?
- Van Gogh et Delacroix, dont les toiles me "parlent" vraiment. Ceci dit, je me suis quasi totalement désintéressé du monde de la peinture depuis ma sortie de l'école des Beaux Arts. Involontairement, d'ailleurs.

Mes héros dans la vie réelle ?
- Louis Blériot, Mermoz, Che Guevara, l'Abbé Pierre, Jules Bonnot, le professeur Théodore Monod, les résistants et les partisans de toutes les guerres, et le chauffeur du char qui, place Tien An Men, n'a pas écrasé l'étudiant qui se dressait devant ses chenilles, alors que ses supérieurs l'auraient félicité s'il avait accéléré.

Mes héroïnes dans l'histoire ?
- Les suffragettes, les mères qui manifestent pour la libération de leurs fils prisonniers politiques, les femmes algériennes qui manifestent contre la guerre civile, les musulmanes qui revendiquent le droit de ne pas porter le tchador et de pouvoir passer le permis de conduire, et enfin la mère du chauffeur du char du paragraphe précédent, pour avoir tout simplement inculqué des valeurs humaines à son fils.

Mes prénoms favoris ?
- Thierry, Thierry, et Thierry !

Ce que je déteste par-dessus tout ?
- Chez moi, c'est l'angoisse de la page blanche, et c'est souvent ! Chez les autres, c'est le goût du pouvoir, comme je l'ai dit plus haut.

Le don de la nature que je voudrais avoir ?
- Le vol.

L'état présent de mon esprit ?
- Un coup pour "oui", deux coups pour "non". De toute façon, à part moi, tout le monde s'en fout ! Pas vrai ?

Fautes qui m'inspirent le plus d'indulgence ?
- Les petits mensonges du quotidien, et le non respect des limitations de vitesse.

Ma devise ?
- Je trouve ça bidon, les devises, et les gens qui ont le plus mis la leur en avant sont historiquement souvent ceux qui l'ont le moins appliquée. Disons que si je devais absolument en avoir une, pour vous faire plaisir, ce serait "Ni Dieu, Ni Maître", ou alors, pour être plus politiquement correct : "Neige en Novembre, Noël en Décembre !"

propos recueillis par L. R.


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